Le Garçon aux Pieds Nus

Le Garçon aux Pieds Nus

Bonne Fête, Papa.

Cela fait maintenant trois mois que mon Père nous a quitté.

Et je trouve le Monde un peu plus triste sans Lui. C’était une belle personne. Il ne sortait jamais sans son béret. Se posait avec les petits vieux au parc. Rentrait à la maison avec le pain. Et prévoyait toujours une bouteille de coca les jours où je venais.

On avait le même groupe sanguin – mes frères ont celui de ma Mère. Je tiens de lui mon côté dans la lune. Mon amour des longues balades. Ma calvitie, bien évidemment. La forme de mes sourcils. Et cette politesse qui lui valait d’être apprécié et traité en prince partout.

Il était follement amoureux de ma Mère. Et c’est la seule dont il arrivait encore à se souvenir à la fin.

On discutait de Coming Out avec un ami du volley. Et je lui disais que je ne l’avais jamais fait à mon père. À ma Mère et mes frères, oui. Mais pas à Lui.

Je ne le regrette pas. Je ne le voyais pas comme nécessaire. Plusieurs générations nous séparaient mon Père et moi. Nous étions nés dans deux pays et deux cultures différentes à un peu plus de quarante années d’écart. Je n’avais pas peur de sa réaction. Je respectais simplement ce voile de pudeur appliqué à toutes les choses relevant de l’Intime.

Mon Père savait quelle personne j’étais. J’avais de la chance. Un garçon bien. Un bon fils. Et pour moi c’était suffisant.

Là où il est aujourd’hui, il doit maintenant comprendre quel était ce beau garçon aux yeux bleus qui venait souvent à la maison et qu’il avait coincé entre quatre yeux pour lui parler de longues minutes de l’Algérie.

C’est Kévin Bacon, Papa.

Je pense souvent à Lui. Comme quand, il y a quelques jours, j’ai vu ce superbe jeans bien déchiré en magasin. J’ai souri et l’ai reposé en me disant qu’il ne l’approuverait pas. Qu’il me dirait que c’est un peu honteux de mettre un jeans troué et qu’il me montrerait l’un des siens. Brut et simple. Comme Lui.

C’est comme cela. Il guidera mes choix encore un moment. Rappelons qu’il est le seul à avoir toujours validé ma façon de m’habiller très personnelle et à ne jamais avoir rien dit sur mes shorts très courts – objet de controverse par excellence à la maison.

Encore aujourd’hui, je dis que je vais « chez les/mes Parents ». Comme une façon de le faire vivre encore longtemps.

Parce qu’Il vivra encore longtemps.
Bonne fête, Papa.

Le Garçon aux Pieds Nus

Le Printemps s’est éteint.

C’était il y a deux semaines. Un appel de ma Mère à 4h45. Et un « oh non » avant même de décrocher.

Car je le savais. C’était l’appel que je redoutais. Que nous redoutions tous.

J’ai passé la journée suivante à tenter d’avoir un billet pour l’Algérie. Ma Mère y avait emmené mon Père il y a un mois. C’est le choix qu’il avait fait. Mourir et être enterré là-bas. Je n’ai malheureusement pu embarquer que le lendemain, manquant de ce fait l’enterrement. (Les enterrements musulmans se faisant de manière toujours très rapide.)

Mon Père nous a laissé, ma Mère, mes deux Frères et moi. Chacun gérant ses émotions à sa façon. Après ces dernières années à le voir partir avec Alzheimer. Cette maladie monstrueuse. Et fulgurante dans son cas. Ma Mère et mes Frères exprimant parfaitement ce qu’ils ressentent. Par la tristesse ou la colère. Ou même cette petite pointe de soulagement suite aux dernières semaines compliquées et à son état de santé général qui ne tenait plus à rien.

Et puis, il y a moi. Moi, comme toujours. Incapable d’avoir une réaction normale. Le Robot.

Il m’a fallu prévenir mes amis. Sans savoir quelle formule utiliser. Répondre aux personnes qui m’exprimaient leurs condoléances. Sans m’agacer devant celles qui pleuraient sa mort alors que je n’y arrive même pas.

Hier encore, une voisine de mes parents me disait qu’elle avait beaucoup pleuré en apprenant son décès. Et elle m’a laissé sur le pallier. Me demandant encore pourquoi je n’étais pas normal.

La première nuit en Algérie, alors que je m’assoupissais. J’ai senti quelqu’un me faire un baiser sur l’oeil droit. C’était léger et réconfortant. Je me suis aussitôt réveillé mais il n’y avait personne. Je dormais là où mon père s’était éteint la veille. Alors je n’avais aucun doute. C’était Lui.

Il n’avait pas plu depuis l’automne dernier dans notre région là-bas. Mais à sa mort, les averses sont revenues. Et pendant une semaine, la pluie et les accalmies se sont alternées. Alors qu’à Paris, c’était plein soleil.

Son prénom signifiait « Printemps » en arabe. Et c’est à quelques jours du Printemps, quelques heures après son anniversaire, que mon Père s’est finalement éteint.

Je l’aimais énormément.

Le Garçon aux Pieds Nus, Psithurisme Nostalgique

Restober #22 – Snooze.

Cher Journal du Garçon qui voulait juste ne rien faire du tout,

Oui certes, je me suis levé un peu tard. J’ai petit-déjeuné devant Rupaul – j’en vois le bout. Puis déjeuner en famille. Mes frères avaient apporté leurs ordis pour télétravailler depuis chez mes Parents.

Au programme. Blagues sur mes cheveux, photos avec mon neveu, et beaucoup de coca.
J’adore les vendredis.

Baille Bye.

Le Garçon aux Pieds Nus

Les documents.

Les papiers du divorce sont arrivés la semaine dernière. Et me voilà perdu au milieu de sentiments ambigus.

C’est une séparation étrange. Mi-désirée, mi-subie. Clore huit années de sa vie n’est certainement pas la chose la plus enthousiasmante qu’il soit.

Pourtant. Je ne suis pas particulièrement triste. Ni ravi. Ni en colère. Je peux percevoir un soupçon de ressentiment. Très léger. Et je n’arrive pas réellement à comprendre ce qu’il fait là. Je ne pense pas qu’il perdure ni même qu’il devienne plus imposant. Je ne le laisserai pas.

J’essaie d’analyser ce que je ressens. Ce que cela implique et quelles devront être mes prochaines décisions. Mes prochains pas. Mais dans ce concert de sentiments confus, j’ai préféré mettre les documents de côté. Et les signer plus tard.

Procrastination ? Non, je sais que je les signerai. Je n’avais juste pas envie d’y penser. Là, toute de suite, maintenant.

Déni ? Non plus. La situation avait été actée en septembre dernier. Et ces six derniers mois m’ont permis d’expérimenter cette vie sans. Sans.

De quoi ai-je envie maintenant ? De milles choses.

J’ai tout pour plaire. Je me connais suffisamment. Je sais ce que je veux. Et ce que je ne veux surtout pas.

J’ai pensé à mon âge. À l’impression d’avoir perdu du temps. D’être entré dans la situation sanitaire actuelle en étant jeune, intéressant, attractif si l’on peut dire et d’en sortir vieux, largué et moins désirable.

Mais chaque casserole a son couvercle. Et je suis un putain de beau chaudron.

Alors. Je le sais. Je retrouverai un travail.

Le Garçon aux Pieds Nus

Il a neigé je t’aime aujourd’hui.

Il a neigé aujourd’hui. Des flocons. Puis plus rien. Puis des flocons à nouveau. Et plus rien. Grand soleil. Un petit évènement rare en ce début Avril.

Les Mardis, Jeudis et Dimanches. Je passe la soirée chez mes Parents. On tourne avec mes Frères pour couvrir un maximum la semaine. Décharger un peu notre Mère de l’Alzheimer de Papa. Et aider au mieux.

Être présents surtout.

Ce soir. En le couchant. Alors que je couvrais ses épaules avec la couverture. Mon Père m’a dit qu’il m’aimait beaucoup. Spontanément. Et c’est la première fois qu’il le dit comme ça.

Il a toujours été pudique sur ses sentiments. Et je me souviens que les seules fois où il se lâchait un peu c’était juste après nous avoir grondés quand on était petits. Il revenait vers nous et nous demandait de ne plus recommencer nos bêtises. Parce que ça lui faisait mal au coeur de nous punir – je parle des réprimandes parentales habituelles de parents maghrébins des années 90′ hein : la ceinture ou la chaussure.

Et puis, il a arrêté de nous gronder. Pour moi, c’était juste après mes neuf ans. Il me disait que c’était honteux qu’il m’engueule parce que j’étais grand maintenant. J’étais juste devenu plus grand que Lui et il considérait que j’étais un homme à présent. Plus un enfant.

Ce soir. Alors même qu’il ne se souvient pas toujours de mon prénom ni de qui je suis exactement – je suis tour à tour son fils, son frère ou un vieil ami d’enfance. Mon Père m’a dit je t’aime. Et ça aussi c’est exceptionnel.

Il a neigé je t’aime aujourd’hui.