Kévin Bacon, Psithurisme Nostalgique

Le Coca ne protège pas du covid.

On avait réussi à y échapper. Depuis deux ans, les gens tombaient mais nous non. Nous résistions.

Mais le Covid allait finalement trouver un moyen de nous atteindre. Nous étions prévenus. Une nouvelle vague, un nouveau variant. T’es en danger, ma fille.

Tout a commencé mercredi matin, quand, à peine éveillé, Kévin Bacon m’a dit. Je me sens bizarre. Il s’est levé malgré tout et est parti s’installer à son bureau avant de revenir quelques minutes plus tard. Je ne me sens pas bien.

Pharmacie à peine ouverte, il y a fait un test. Confirmé à son retour. Positif.

Immédiatement arrêté, il s’est remis au lit. Date d’apparition des symptômes et calcul de la fenêtre de contagion. Forcément je devais être touché aussi.

Alors à mon tour, je suis allé me faire tester. Et quelques minutes après, mon résultat était négatif.

Nous avons donc dû réorganiser l’appart. Il a gardé la chambre et le lit. J’ai gagné le salon. Et tout le reste est devenu zone avec port du masque obligatoire.

Sa fièvre a monté et je me suis improvisé Infirmier à domicile. Et rappel : je suis la personne la plus maladroite et la plus flemmarde du monde, et en plus je ne sais rien faire de mes mains.

Pratiquement quatre jours de forte fièvre et de toux. Il est cloué au lit. Je surveille sa température. Lui donne des médicaments. J’aère constamment toutes les pièces. Et… je m’occupe de la cuisine.

Je rate chaque repas. Et pour un malade qui n’a pas perdu le goût, c’est l’enfer. On raconte ça et là que des groupes de soutien ont été montés pour venir en aide aux maris comme Lui…

De mercredi à lundi, je reste à l’isolement. Je suis cas contact même si l’application Anticovid ne me le dira jamais. J’annule tout ce que j’avais prévu. Je campe dans le salon, je dors en boule sur le canapé deux places. Je dessine. Je finis tout AppleTV+. Physical, Severance, je commence Loot. Sur Disney+, je mange tous les Wolverines, les deux Deadpools – c’est mauvais quand même hein…-. Sur Netflix, je commence Thermae Romae – drôôôle. Et je me fais tester tous les deux jours environ. À chaque fois, négatif.

L’idée que je viens d’une autre planète et/ou que le coca protège vraiment du Covid commence à me séduire. Kévin Bacon va mieux même s’il reste positif.

Mardi, je sors de mon isolement et décide de sortir un peu. Direction shopping. Je garde mon masque dans les magasins – je ne l’ai jamais enlevé dans le métro… -. Je me promène. Mais j’ai chaud et je commence à ne pas me sentir bien.

J’entre dans une pharmacie, me fais tester. Hop hop, tige dans le nez, terminé. Je trouve la jeune fille expéditive mais je me remets en route. Je me sens pas terrible et m’apprête à prendre un Doliprane. Il tombe par terre.

Rien à faire. Je le gobe et reprends mon chemin. Oui vous avez bien lu, advienne que pourra.

Toujours pas de réponse une heure après. J’appelle la pharmacie qui me dit que je suis négatif et que le résultat arrivera dans la soirée. Et effectivement, un message bien plus tard. À nouveau rassuré.

Mais, j’ai la gorge qui gratte et je me sens fatigué. Mon corps d’extraterrestre a-t-il transformé le covid en un autre truc ?

Mercredi, j’ai l’impression de n’avoir plus aucune force. Pas de fièvre mais j’ai mal partout.

Jeudi, fatigue. Mais alors une fatigue ! J’ai toujours eu la flemme de tout. Je l’ai déjà dit. Mais là, je suis sur un niveau d’asthénie absolu. J’accompagne quand même Kévin Bacon – toujours positif à J+8 – faire les courses en priant pour que personne ne me touche et surtout que je me cogne nulle part. Ce qui chez moi signifie que je suis bien malade.

J’en profite pour passer à la pharmacie et me faire à nouveau tester. Franchement, c’était LA semaine pour lancer un programme de fidélité.

À peine rentré à la maison, je reçois la ribambelle de SMS du SIDEP.

C’est la fin. Je suis positif. Je ne viens pas d’une autre planète. Le coca rouge ne protège pas du Covid. Je n’ai juste pas les mêmes symptômes que Kévin Bacon. Brett, je suis touchée.

– Fin de l’épisode –

Beur-Boy restera-t-il positif longtemps ? Pourra-t-il se rendre en Normandie avec les garçons du volley pour le 14 Juillet ? Récupèrera-t-il ses pouvoirs magiques ? Et surtout surmontera-t-il sa déception de découvrir que boire du coca n’a absolument aucun avantage ?

Vous le saurez, au prochain épisode.

Mascara for Masc

Moon Pride.

Il y a vingt ans, je faisais ma première Marche des Fiertés, la Gay Pride à l’époque.

2002. On s’était retrouvé avec les Filles et on avait défilé ensemble. Je portais un gilet à capuche blanc très léger. Hommage affiché à Kylie Minogue et sa tenue dans Can’t get you out of my head. J’avais 19 ans. Je devais faire 50kgs. J’étais une brindille-twink complètement myope.

Je me sentais bien. Entouré de toutes ces personnes comme moi. Dans une atmosphère libérée et libératrice.

Vers 17h, les Filles sont rentrées. Et je me suis retrouvé seul au milieu de la foule. Je n’avais pas envie de partir. J’aurais aimé que ça ne s’arrête jamais.

Je ne voulais pas rebasculer dans le monde hétéro.

Alors, à Bastille, je me suis assis sur les marches de l’Opéra et j’observais. Je rêvais de me mêler à la foule. Je voulais tant faire partie de ce monde. Mais je ne connaissais personne. J’étais le seul gay que je connaissais. Et j’étais bien trop timide.

Ma première Marche des Fiertés avait eu ce goût doux-amer.

2022. Kévin Bacon et moi avons retrouvé un de mes amis à Michel Bizot après mille péripéties. Accident de vernis à ongles – il faut impérativement apprendre aux garçons à se maquiller !, et métro en panne… J’ai cru que nous n’arriverions jamais.

J’ai mis un tutu blanc, un T-shirt de Sailor Moon et du vernis à ongles aux couleurs du drapeau trans. J’ai maintenant 39 ans. Je suis un Daddy et toujours une Magical Girl.

Mais surtout. Aujourd’hui. Je ne suis plus le seul gay que je connais.

Nous sommes vingt ans après. J’ai croisé des amis, des jolis garçons de twitter et mes potes du volley. Et j’ai fini la soirée au Quetzal comme l’an dernier, entouré de mes amis et de tous ces gens comme moi.

Je fais maintenant partie de la foule .

Cosmo-Musicologie, Multivers du Moi

Beur-Boy’s infinite playlist – part I.

On a tous une playlist de chansons et musiques qui nous sont chères. Qui résonnent en nous. Qui font bien plus que de nous faire battre le rythme ou fredonner.

Il y a des chansons que j’aime tellement. Tellement. Que je suis persuadé les avoir déjà entendues ailleurs. Car le lien est si fort que je me refuse à croire qu’il s’agisse juste d’une coïncidence.

J’ai une théorie un peu cosmique. Je pense que les chansons de ma playlist on se les partage avec mes autres moi·s. Et que, partout et dans chaque réalité, elles sont importantes pour Nous aussi.

Une sorte de multivers de goûts similaires. Et que, pour avoir le coup de foudre ici, il faut que tous·x·tes* nous ayons eu le même coup de foudre ailleurs.

Et ma question est : si tu ne devais emporter que dix chansons avec toi pour un voyage dans l’Espace, quelles seraient les élues ?

Et toi ? Quelles seraient les tiennes pour un voyage sans retour intersidéral ?

* oui je reste persuadé que je ne suis pas un garçon partout. Parfois même, pas une fille non plus.

Le Garçon aux Pieds Nus

Bonne Fête, Papa.

Cela fait maintenant trois mois que mon Père nous a quitté.

Et je trouve le Monde un peu plus triste sans Lui. C’était une belle personne. Il ne sortait jamais sans son béret. Se posait avec les petits vieux au parc. Rentrait à la maison avec le pain. Et prévoyait toujours une bouteille de coca les jours où je venais.

On avait le même groupe sanguin – mes frères ont celui de ma Mère. Je tiens de lui mon côté dans la lune. Mon amour des longues balades. Ma calvitie, bien évidemment. La forme de mes sourcils. Et cette politesse qui lui valait d’être apprécié et traité en prince partout.

Il était follement amoureux de ma Mère. Et c’est la seule dont il arrivait encore à se souvenir à la fin.

On discutait de Coming Out avec un ami du volley. Et je lui disais que je ne l’avais jamais fait à mon père. À ma Mère et mes frères, oui. Mais pas à Lui.

Je ne le regrette pas. Je ne le voyais pas comme nécessaire. Plusieurs générations nous séparaient mon Père et moi. Nous étions nés dans deux pays et deux cultures différentes à un peu plus de quarante années d’écart. Je n’avais pas peur de sa réaction. Je respectais simplement ce voile de pudeur appliqué à toutes les choses relevant de l’Intime.

Mon Père savait quelle personne j’étais. J’avais de la chance. Un garçon bien. Un bon fils. Et pour moi c’était suffisant.

Là où il est aujourd’hui, il doit maintenant comprendre quel était ce beau garçon aux yeux bleus qui venait souvent à la maison et qu’il avait coincé entre quatre yeux pour lui parler de longues minutes de l’Algérie.

C’est Kévin Bacon, Papa.

Je pense souvent à Lui. Comme quand, il y a quelques jours, j’ai vu ce superbe jeans bien déchiré en magasin. J’ai souri et l’ai reposé en me disant qu’il ne l’approuverait pas. Qu’il me dirait que c’est un peu honteux de mettre un jeans troué et qu’il me montrerait l’un des siens. Brut et simple. Comme Lui.

C’est comme cela. Il guidera mes choix encore un moment. Rappelons qu’il est le seul à avoir toujours validé ma façon de m’habiller très personnelle et à ne jamais avoir rien dit sur mes shorts très courts – objet de controverse par excellence à la maison.

Encore aujourd’hui, je dis que je vais « chez les/mes Parents ». Comme une façon de le faire vivre encore longtemps.

Parce qu’Il vivra encore longtemps.
Bonne fête, Papa.

Journal de Bord Éternel

Beur-Boy 16.

C’est à Saint-Jean-de-Luz. En 2006. Que m’est venue l’idée de créer Beur-Boy.

Je tenais alors déjà un blog très personnel depuis longtemps, véritable journal intime en ligne. J’y racontais ma petite vie dans laquelle rien ne se passait réellement. Juste cent coups de foudre à la minute et mille désillusions. J’étais Lonely in Gorgeous, du nom de la chanson de Tommy February6 et mon pseudo était une référence à Pavel Novotny, apollon du porno gay des années 2000.

Mais j’avais l’impression de ne pas être complet. Il me manquait quelque chose.

J’avais ressenti, à l’époque, le besoin de créer quelque chose qui me corresponde à 100%. Qui embrasse toutes mes identités. Tout ce que je pensais (devoir) être alors. Un jeune homme gay, de couleur et de banlieue. Et ce quelque chose devait aussi me permettre d’être plus cru – ce que je m’interdisais alors car mon blog était lu par mes amies.

Et c’est ainsi qu’à l’été 2006, à Saint-Jean-de-Luz, alors que j’étais en vacances avec Cayetano, qu’est né Beur-Boy.

À mon retour. Je me suis immédiatement inscrit sur Blogspot. Et j’ai commencé à y écrire sous ce nouveau nom.

Ce n’était pas (encore) un journal intime. Juste un amas nébuleux de ce que j’aimais, de ce que je regardais, de ce que j’écoutais et de ce que je transpirais comme fantasmes. J’y parlais de tout. De garçons, de porno, de Beyoncé,… J’y postais des dessins et des photos olé olé.

J’avais lâché sur internet, à force de toujours être un gentil garçon lisse et propre sur lui, une sorte de monstre, nourri par mes frustrations. Dr. Jekyll & Mr. Hyde.

Et ça a marché. J’ai été suivi. Commenté. Et fantasmé.

Mais derrière cet écran, j’étais, en réalité, un jeune homme candide, incapable d’être un tantinet casual au sujet du sexe. Je devais composer. Toujours surjouer.

Beur-Boy était un nom bien trop large et sulfureux à porter pour moi.

J’ai joué le rôle. Jusqu’à ce que, petit à petit, je réussisse à diluer le tout. À l’affiner. Beur-Boy {X} est devenu Beur-Boy {Intime} (2007). Et l’Intime a disparu quand, enfin je pus accorder le tout et être réellement moi-même derrière le clavier.

Et alors que je reviens tout juste de Saint-Jean-de-Luz, où Cayetano s’est marié, j’ai repensé à tout cela.

Mon blog précédent avait été comme une fenêtre sur le monde. Beur-Boy a été une porte. M’enjoignant à sortir de ma Forteresse de Solitude. À aller à la rencontre des autres. Les pédébloggueurs. Les Garçons. Comme je les appelle encore souvent ici.

C’était dans un autre espace-temps. Les réseaux sociaux n’avaient pas encore tout détruit. L’Instantanéité et les Algorithmes ne jouaient pas contre nous. Nous nous appliquions à écrire nos billets. D’humeur ou d’humour. À nous répondre. À interagir les uns les autres. À raconter nos histoires. À partager des parties de nous que nous ne dévoilions pas in real life.

Seize ans plus tard. Les Temps ont changé. Il reste une poignée de ces pédébloggueurs. Sommes-nous des survivants ? Où d’incorrigibles nostalgiques s’accrochant à une période révolue ? Période qui touchait déjà à sa fin lorsque je suis arrivé ?

Peu importe. Peu importe comment nos histoires ont fini. Peu importe même, les réactions lorsque je dis que j’écris toujours sur mon blog.

Beur-Boy a été très important pour moi. C’est mon endroit. J’y suis toujours revenu. Et j’y reviendrai toujours.

C’est mon endroit.

*

Voici quelques photos que j’ai retrouvées. Si j’utilise aujourd’hui un gif pour accompagner chacun de mes billets, à l’époque par contre, je partageais volontiers des photos. Et j’étais particulièrement dévêtu, c’est incroyable.

  1. Capture d’écran de Beur-Boy {X} datant de Juillet 2007.
  2. Capture d’écran de Beur-Boy {Intime} datant d’Octobre 2007.
  3. Capture d’écran de Beur-Boy {Intime} datant d’Octobre 2007.
  4. Capture d’écran de Beur-Boy {Intime} datant d’Octobre 2007.
  5. Capture d’écran du blog de Baron Rouge la fois où il avait écrit ses billets en utilisant le style de chaque pédébloggueur. Barry nous a quitté il y a quelques années et j’ai un trou dans mon coeur.
  6. Cette barre de chocolat avait été léchée par Thanos. Pédébloggueur incontournable.
  7. J’étais célibataire, mince et impudique.
  8. La bouteille à la mer que j’ai lancée dans un de mes billets et qui m’a permis de rencontrer L’Homme à la Bouteille.
  9. J’ai toujours ce slip, plié dans un tiroir. Faire offre. hu hu
  10. Ma participation au calendrier des pédébloggueurs. J’adorais ces idées, comme celle des cartes postales.
  11. Photo de la Marche des Fiertés de 2008 prise par Peio.
  12. Mon réveil après le Plan K. Grand moment de l’été 2007 ou comment je suis rentré chez mes Parents avec pas moins de cinq suçons dans le cou.
  13. Je ne sais pas si à l’époque je mettais autre chose que ce slip et ces converses.
  14. Sensitif avait parlé de moi. J’étais touché donc forcément -> photo dénudée.
  15. La marque Vilain Garçon m’envoyait des T-shirts. Influenceuse avant l’heure.
  16. J’avais posté cette photo pour illustrer un billet sur mon bain. *gêne*

Quelle époque.

Le Garçon aux Pieds Nus

Le Printemps s’est éteint.

C’était il y a deux semaines. Un appel de ma Mère à 4h45. Et un « oh non » avant même de décrocher.

Car je le savais. C’était l’appel que je redoutais. Que nous redoutions tous.

J’ai passé la journée suivante à tenter d’avoir un billet pour l’Algérie. Ma Mère y avait emmené mon Père il y a un mois. C’est le choix qu’il avait fait. Mourir et être enterré là-bas. Je n’ai malheureusement pu embarquer que le lendemain, manquant de ce fait l’enterrement. (Les enterrements musulmans se faisant de manière toujours très rapide.)

Mon Père nous a laissé, ma Mère, mes deux Frères et moi. Chacun gérant ses émotions à sa façon. Après ces dernières années à le voir partir avec Alzheimer. Cette maladie monstrueuse. Et fulgurante dans son cas. Ma Mère et mes Frères exprimant parfaitement ce qu’ils ressentent. Par la tristesse ou la colère. Ou même cette petite pointe de soulagement suite aux dernières semaines compliquées et à son état de santé général qui ne tenait plus à rien.

Et puis, il y a moi. Moi, comme toujours. Incapable d’avoir une réaction normale. Le Robot.

Il m’a fallu prévenir mes amis. Sans savoir quelle formule utiliser. Répondre aux personnes qui m’exprimaient leurs condoléances. Sans m’agacer devant celles qui pleuraient sa mort alors que je n’y arrive même pas.

Hier encore, une voisine de mes parents me disait qu’elle avait beaucoup pleuré en apprenant son décès. Et elle m’a laissé sur le pallier. Me demandant encore pourquoi je n’étais pas normal.

La première nuit en Algérie, alors que je m’assoupissais. J’ai senti quelqu’un me faire un baiser sur l’oeil droit. C’était léger et réconfortant. Je me suis aussitôt réveillé mais il n’y avait personne. Je dormais là où mon père s’était éteint la veille. Alors je n’avais aucun doute. C’était Lui.

Il n’avait pas plu depuis l’automne dernier dans notre région là-bas. Mais à sa mort, les averses sont revenues. Et pendant une semaine, la pluie et les accalmies se sont alternées. Alors qu’à Paris, c’était plein soleil.

Son prénom signifiait « Printemps » en arabe. Et c’est à quelques jours du Printemps, quelques heures après son anniversaire, que mon Père s’est finalement éteint.

Je l’aimais énormément.